Le 6 décembre, vous avez envoyé une http://archives.myop.fr/fr/lettreactioncollective.pdf", principalement à l’attention du Ministère de la Culture et des directeurs de rédaction de l’Obs, du Monde et de l’Express, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots le contenu de ce courrier ?
Dans ce courrier, nous faisons état de la situation intolérable des retards de paiement chez certains groupes de presse mais également de la précarité de la profession (baisse des tarifs). Cela entraîne la fermeture de certaines agences et cela nous met dans des situations financières délicates (impossibilité de payer les photographes, difficulté à trouver un équilibre financier au sein de l'économie de nos agences). Nous avions cherché à fédérer un mouvement, il y a un an, après les propos de http://archives.myop.fr/fr/lettreactioncollective.pdf"sur France Inter où il indiquait que "Chaque chose se négocie à la baïonnette". C'était son argumentaire pour justifier les retards de paiement aux agences photographiques. Pendant longtemps le rapport de force a été unilatéral, forçant certaines agences à déposer le bilan. Face à l'accumulation des retards de paiement, nous nous sommes regroupés afin d'exiger des sommes qui nous sont dues.
Quels retours avez-vous eus depuis le 6 décembre ?
Nous avons été sollicités par les médias pour relayer cette lettre. Nous venons tout juste de recevoir une lettre du groupe l'Express nous expliquant que suite au départ de leur expert comptable (avec le rachat SFR Group), il y a eu un ralentissement des paiements. Dans les faits, nous avons constaté que des factures de 2014 étaient restées impayées.
Où en est-on de l’engagement de la Ministre de la Culture Audrey Azoulay (pris cet été) de réduire les aides de l’Etat aux mauvais payeurs ? La menace a-t-elle été mise à exécution ?
Dans notre lettre collective, nous soulignons que malgré le "code de bonnes pratiques", aucune action dans ce sens n'a été prise. Nous n'avons vu aucun changement significatif à ce niveau. A ce jour, nous n'avons eu aucun retour du Ministère au sujet de notre lettre.
Pourriez-vous nous rappeler les montants de ces retards de paiement ?
En ce qui concerne les co-signataires de cette lettre, les factures impayées à plus de 60 jours par les groupes Le Monde et Altice Media atteignent les 500.000 euros.
Et quelles conséquences ont-ils concrètement sur les agences photographiques et les photographes ?
Les conséquences sont désastreuses pour les agences et les photographes. Cela précarise la situation des photographes : difficulté à réaliser leurs reportages mais également à vivre de leur métier de photojournaliste. Ils doivent faire face à des contrats et des rémunérations qui ne sont pas à leur avantage ; avec la syndication* par exemple. Les cartes de presse sont également difficiles à obtenir pour certains... C'est toute une économie sur le fil. L'impossibilité de ne travailler que pour la presse, et lorsqu'ils travaillent pour la presse, les délais de paiement sont de plus en plus longs, et ils sont de moins en moins bien payés.
Au niveau des agences, toutes ces problématiques se répercutent. Au sein de MYOP, nous tentons d'aider au maximum les photographes, tentant parfois de leur avancer des frais (lorsque l'on peut le faire). Mais leurs reportages sont de plus en plus délicats à financer, surtout lorsque l'on cherche à faire du qualitatif.
Comment expliquer que la loi de la modernisation de l’Economie de 2008 (qui impose un raccourcissement des délais de paiement, des pénalités et amendes administratives, et des sanctions pénales) ainsi que le « Code de bonnes pratiques professionnelles entre éditeurs, agences de presse et photographes » datant de 2014 aient tant de mal à être simplement appliqués ?
Je crois qu'il manque une vraie volonté politique, sincère et compréhensive. Il y a une méconnaissance du métier de photojournaliste. Il y a peu de soutien autour de la profession. Jean-François Leroy, à Visa pour l'image est un des rares à proposer un endroit de rencontres et de débats pour conscientiser les gens sur la profession. L'agence MYOP avait été sollicitée, il y a un an, pour un rapport sur "une meilleure reconnaissance du métier de photojournaliste" commandé par le Ministère de la Culture et de la Communication, présidée par Monique Barbaroux. Nous n'avons jamais eu de retour concret de leur part.
Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, mais s'il le faut, MYOP tentera encore et encore d'alerter sur des pratiques répréhensibles, qui mettent en péril le travail des photojournalistes. Les photographes tentent de réinventer leur modèle économique, trouver d'autres types de fonctionnement, parce que l'on ne les arrêtera pas "raconter" le monde. Le rôle des agence est de les aider dans ce sens, tout en tentant de les "protéger", et de valoriser leur production photographique
Quel est la prochaine étape de votre combat ? Allez-vous prendre cette « mesure exceptionnelle » évoquée dans votre courrier (cessation de distribution d’images à ceux qui ne paient pas dans les temps) ?
"Notre combat" pour le moment reste d'avoir gain de cause sur la situation des retards de paiement. Nous demandons, à ce que l'ensemble des co-signataires de la lettre n'ait plus aucun retard de paiement.
S'il le faut, nous sommes prêt à cesser de distribuer nos images, seul levier qui semble fonctionner jusqu'à présent. Mais il est vrai qu'à terme, il serait important que les agences se regroupent pour évoquer ensemble des questions de fond sur la pratique du photojournalisme aujourd'hui. C'est peut-être trop utopique, vu la différence de l'ensemble des structures, mais il ne faut pas perdre de vue, qu'il y a un vrai combat à mener pour la défense d'un métier en berne.
Mise à jour du 04/01/2017 : Depuis cette interview du 21/12/2016, certaines choses ont évolué, comme a tenu à le souligner Chloé Zanni :
« Le groupe Altice Media a commencé à honorer ces factures. Il en va de même pour le groupe Le Monde. D'ailleurs, il s'agit du groupe Le Monde - et non du quotidien - qui englobe La Vie, Télérama, Courrier international... Par contre, rien au niveau de l'Obs et des ministères. »
* qui permet de vendre à plusieurs diffuseurs/médias le droit de reproduire un contenu/une image.